LE MANIFESTE

D-barquement

Ce projet participatif et collectif proposé au Centre Social Familial Saint Gabriel Canet Bon Secours dans le cadre du Tremplin intitulé «Tout doit disparaître» a consisté en la construction d’un radeau fait de matériaux de récupération par un groupe d’adolescents résidant dans le 14ème arrondissement de Marseille.

Le radeau achevé a été emmené au vieux-port de Marseille, qu’il a traversé avec comme équipage le groupe de jeunes et moi-même, et a débarqué place de la Mairie.

Ce projet a par ailleurs fait écho à une de mes dernière création artistique réalisée en Mai 2010 : une réinterprétation du «Radeau de la méduse» de Géricault, début d’une série intitulée «Reproduction Popart». Comme la toile de Théodore Gericault, cette réinterprétation est une représentation de notre société qui va à la dérive. Seuls les personnages représentés diffèrent et sont empruntés à la culture populaire. La réalisation concrète de ce fameux radeau a été l’aboutissement de mon propos.

Reflexions.

Merci à l’équipe du Centre Social Familial Saint Gabriel Canet Bon Secours, qui m’a confié l’opportunité et la lourde responsabilité de mettre en avant cette partie de la ville dans laquelle j’ai pu travailler. J’ai tâché, dans cette courte rétrospective de mon travail, de montrer une certaine «réalité», celle de toutes ces infimes choses et phénomènes qui m’ont tant intrigué qu’il m’a semblé nécessaire d’en laisser une trace. J’ai pour ce faire utilisé le média qui m’a paru le mieux à même d’en donner une image claire, dans le court laps de temps qui m’était donné.

Je me souviens de mon premier contact, inaugural, avec ce quartier au travers des mots échangés avec Cassandre, mon épouse, alors que nous parcourions cette partie de la ville pour la première fois, en particulier devant le bâtiment nommé «Maison Blanche». J’ai examiné l’immeuble rapidement et ai été surtout frappé par la quantité de déchets divers dans son environnement immédiat : déchets provenant pour la plupart de la station service proche. Cet immeuble paraissait comme isolé sur une île, déserte elle-même. Rapidement, une question douloureuse s’instilla en mon esprit : mais où donc les enfants jouent-ils? J’entendis alors distinctement les cris de parents en colère, suivis de pleurs de bébé ; ceux-ci me bouleversent particulièrement, qu’ils viennent de n’importe quel groupe humain, aussi grimaçant et hypocrite soit-il. Aussi je décidai d’en porter témoignage.

À la question que je posai alors aux responsables du centre social, j’obtins la réponse suivante : Dalibor, nous aimerions que tu NOUS montres, tels que tu NOUS vois. Dans ce nous si particulier, je me suis vu, comme statufié par tous ces regards aussi faux que grimaçants. Je fus à nouveau à même de me difracter de manière à avoir une vue d’ensemble. Je me tins debout, comme éclaté en milliers de morceaux, chacun susceptible de regarder le tout, de façon quelquefois diamétralement opposée voire contradictoire, provoquant ainsi une sorte de conflit intérieur qui ne cherchait qu’à être résolu. J’étais bousculé de tous côtés, écartelé, mon intégrité mise à mal. Je me dominai toutefois afin de mener à bien ce travail sur ce « NOUS ».

Pendant cette période de réflexion, je n’oubliai cependant pas que le centre social ne représentait qu’une part infime de la société et de ce quartier. Toutes ces sensations et perceptions qui eurent des répercussions directes ou indirectes sur ma personnalité m’ont affecté en «temps réel». Aussi me suis-je débrouillé pour rester en dehors de tous les murs ou frontières quels qu’ils soient ; j’ai tâché de ne pas être restreint par quelque dogme que ce soit qu’ils émanassent de la famille, de la religion, d’Etats nations ou d’un quelconque système de valeur calcifié et rigidifié. J’ai tenté de ne pas fermer les yeux en dépit de toutes mes frayeurs qui elles aussi ont tendance à réprimer ma créativité.

En allant du particulier au général, j’en suis parvenu à la conclusion que je vis dans une société «populaire» et s’il vous plait, ne me jugez pas si j’émets des conclusions par trop banales.

En décidant d’utiliser massivement l’énergie nucléaire, NOUS, en tant que société, sommes amenés à soutenir une certaine vision du progrès, sans la certitude aucune de pouvoir un tant soit peu en maîtriser la technologie. Je pense avant tout aux catastrophes qui ne manquent pas d’arriver, liées à cette énergie particulière.

Nous décidons, sous couvert de nos représentants, de nos administrations, leur désignant ostensiblement la voie à suivre ; nos désirs et besoins sont crées de toute pièce au sein de la «société de consommation», relayés par les soins des médias et des moyens d’information ; nos choix, en matière de progrès et de développement sont déterminés de façon rigide par nos décisions en matière d’énergie utilisée.

En usant du nucléaire et du plastique à outrance, nous obligeons nos enfants encore dans les limbes à accepter de fait de vivre dans un «environnement modifié», perdant ainsi tout contrôle sur le système de production.

Le temps de vie des déchets radioactifs et du plastique dépasse largement le temps de vie humaine. Aurons-nous encore le temps de réagir même si - et cela peut être encourageant - nous prenons conscience des conséquences de nos choix énergétiques? Les raisons invoquées jusqu’à présent, à savoir «la fin justifie les moyens» ou bien qu’il nous faille à tout prix être «supérieurs» à la période précédente, continueront-elles à être valides malgré un environnement - celui de nos enfants ! - dégradé par le nucléaire, le plastique ou des liens sociaux en pleine décadence? «Liberté, Egalité, Fraternité» ?? Peut-être qu’un beau et radioactif jour, nos enfants seront contraints de se nourrir de notre merde radioactive dans un but similaire : celui du progrès.

Je vis en attendant ce jour, en me demandant si nous serons capables de changer nos comportements avant qu’il ne soit trop tard pour le genre humain, ou peut-être devrais-je rejoindre les forces aveugles du progrès et apprécier cette nature nouvelle et modifiée? Dans quelle mesure ne suis-je pas déjà englué dans ce processus?

Dalibor Popovic.


www.radeaud.blogspot.com
www.serbigraphie.blogspot.com


Remerciements :

L’équipe du Centre Social Familial Saint Gabriel Canet Bon Secours. Laurence, Philippe, Olivier, Raphael, Renaud, Jean-Charles des ateliers Sud Side. Les jeunes du 14ème arrondissement de Marseille : Idir, Shamsidine, Idriss, Dillan, Salah, Clément, Mathis, Malik, Dounia, Mickael, Nabil et Abou. Cedomir et Nadine pour la traduction et Cassandre.